La fabrication des tapis au Royaume-Uni est étroitement liée à la découverte des tapis d’Orient, à la fascination qu'ils ont exercé et au désir de les reproduire. Les Anglais avaient contemplé les tapis d’Orient lors des Croisades, entre environ 1096 et 1270. La paix et la prospérité économique du règne d’Élisabeth I (1558-1603) favorisèrent le commerce extérieur, la consommation de produits de luxe et la création de manufactures. La Moscovit Co. et l’English Turkey Co. (créée en 1555) importèrent avec une certaine régularité des tapis de Turquie et de Perse. Durant la seconde moitié du 17e siècle, l’East India Co. fondée par Élisabeth I en 1601, fit venir de nombreux tapis de Turquie, de Perse et de l’Inde moghole. Ces achats provoquèrent un important ralentissement de la production anglaise de tapis. Bien qu'un teinturier nommé Morgan Hubblethorn fut envoyé en Perse en 1579 avec pour mission d’y apprendre l’art de fabriquer les tapis et de ramener un ouvrier qualifié, la mission ne connut apparemment pas de suite ; le nœud asymétrique persan ne fut pas adopté au Royaume-Uni.

Tapis anglais de table au petit point

Jusqu'au 17e siècle, le tapis d’Orient reste un objet d’un luxe et d’une magnificence inouïe. Rare, précieux, il est réservé au roi et aux grands dignitaires. Il peut être disposé à leurs pieds, sur une table, un coffre ou sur trois couches de litières dans la salle d’audience d'Élisabeth. Le tapis en Angleterre est essentiellement réalisé selon deux techniques : le tapis noué et le tapis à l’aiguille sur toile. Les tapis tissés à plat furent exécutés, semble-t-il, de façon tout à fait exceptionnelle. Quant aux tapis de table, noués ou à l’aiguille, ils se différencient des tapis de sol par leur décor. Celui-ci, disposé latéralement, est le plus souvent composé de scènes extraites de la Bible et des Métamorphoses d’Ovide.

Le tapis anatolien constitua, dès le départ, le modèle ultime: il fallait en reproduire le nœud symétrique et les motifs géométriques. Durant tout le développement de cette activité, le nœud symétrique fut le seul employé; les motifs, en revanche, évoluèrent rapidement selon les courants stylistiques. Les matériaux utilisés furent le chanvre ou le lin pour la chaîne et la trame, et la laine pour le fil de nœud. La trame en laine fut plus fréquente à partir du 18e siècle. La tradition situe les lieux de production autour de Londres, à Norwich, Ramsey, Barcheston.

Les tapis anglais produits entre environ 1570 et 1603 présentent deux tendances : l’une imite les tapis anatoliens et privilégie les formes ; l’autre, inspirée de l’iconographie persane, puise plus directement dans le répertoire floral de l’époque élisabéthaine.

Après cette période de recherche et d’initiation, la fabrication des tapis connaît un sérieux ralentissement provoqué par le coût et la rareté de la main-d’œuvre, des difficultés d’installation et des importations de plus en plus abondantes et régulières de tapis d’Orient. Les crises politiques qui secouèrent le pays durant le 17e siècle ne furent pas non plus favorables au développement de cette activité. Les tapis à cette époque semblent donc assez rares, ils se distinguent néanmoins par un décor essentiellement floral encore renaissant et marqué par l’iconographie naturaliste et la broderie élisabéthaine. Les motifs géométriques n’y ont plus leur place et les blasons se raréfient.

Au cours du 18e siècle, l’Angleterre connaît un extraordinaire développement militaire, naval, industriel et commercial. Malgré leur rivalité avec la France, les Anglais en suivaient les modes vestimentaires et les courants stylistiques comme le rococo et le néo-classicisme. C’est à partir de cette époque que l’ornementation des tapis suit définitivement les styles du mobilier et de la décoration intérieure.

La fabrication des tapis en Angleterre, après le marasme du 17e siècle, bénéficia de l’apport des ouvriers huguenots d’Aubusson et de la Savonnerie, fuyant la France après la révocation de l’édit de Nantes en 1685. Au milieu du 18e siècle, trois manufactures centralisent l’essentiel de la production:

  • la manufacture Passavant, tisserand d’origine suisse, dans le quartier de Fulham à Londres;
  • l’atelier de Thomas Witty, créé à Axminster en 1755;
  • la manufacture de Thomas Moore, fondée avant 1757 à Moorfields, près de Londres.

On retrouve dans les tapis du 18e siècle anglais beaucoup d’éléments décoratifs français : les acanthes, volutes, masques solaires, animaux ou scènes naturalistes sur fond noir des tapis Savonnerie Louis XIV; les nœuds de ruban, courbes et contre-courbes, des couleurs plus douces typiques du décor Louis XV.

Le style néo-classique connaît son apogée de 1760 à 1780 en Grande-Bretagne grâce à Robert Adam, architecte et décorateur. Les formes sont simples, constituées de motifs géométriques ou floraux. Frises grecques, ornements étrusques et pompéiens marquent le regain d’intérêt pour l’Antiquité.

Tapis anglais antique au petit point

Au début du 19e siècle, la fabrication des tapis noués à la main est principalement menée par les manufactures d’Axminster et de Wilton. Leur survie était menacée par les innovations techniques de la fin du siècle précédent et du cours du siècle, tels que le métier Jacquard adopté vers 1820 pour les tapis et le métier à vapeur. Les tapis mécaniques et les moquettes étaient, en règle générale, destinés à un public moins aisé et s’inscrivaient par leurs styles composites et leurs couleurs heurtées, dans le goût victorien.

Au début de ce même siècle, les motifs, couleurs et ambiances exotiques (islamiques et asiatiques) font recette en Angleterre. Le pavillon de Brighton, édifié par le futur roi George V en est un exemple exubérant. Dragons, serpents, larges fleurs, chauves-souris et de nombreux symboles chinois ornent les tapis aux dimensions colossales des salles principales. William Morris en 1857William Morris (1834-1896) est la figure maîtresse du mouvement « Arts and Crafts » qui rassembla de 1880 à 1920 divers courants stylistiques de Grande-Bretagne. L’immédiate influence de ce mouvement se fit sentir en Europe, principalement aux Pays-Bas, en Allemagne, et en France, ainsi qu’aux États-Unis; les œuvres de Morris furent achetées partout dans le monde, en Russie comme en Australie. Dans ses ateliers de Hammersmith et de Merton Abbey, et avec la collaboration d’artistes tels Edward Burne-Jones et Dante Gabriel Rossetti, il réalisa des tapisseries, des broderies, des tissages, des impressions sur coton, des dentelles, des illustrations de livres, des carreaux de céramique et des tapis, tous commercialisés par sa société Morris & Co.

En 1878-1879, il effectua ses premiers tapis noués à la main, en s’inspirant des tapis persans classiques. Il est intéressant de noter que Morris, malgré son admiration pour les tapis persans, employa le nœud symétrique turc. Les matériaux employés sont assez variés et témoignent de ses recherches. La laine puis le coton, à partir de 1880, sont utilisés pour la chaîne; la trame est de laine ou de jute. Le fil de nœud est en laine, parfois en soie, et d’un mélange de mohair et de laine pour le tapis à Redcar.

Tapis William Morris

La vogue des jardins, de la botanique et des fleurs dans la tradition élisabéthaine (jacinthes, jonquilles, iris ou chèvrefeuille) et le goût pour la broderie, relancés par Morris, sont caractéristiques.

Tapis aux motifs William Morris

Sources et inspiration : BÉRINSTAIN, Valérie, et al. L'art du tapis dans le monde, Paris, Mengès, 1996, 378 p. ; JERREHIAN JR., Aram K. A. Oriental Rug Primer, Philadelphie, Running Press, 1980, 223 p. ; HERBERT, Janice Summers. Oriental Rugs, New York, Macmillan, 1982, 176 p. ; HACKMACK, Adolf. Chinese Carpets And Rugs, Rutland et Tokyo, Tuttle, 1980, 45 p. ; DE MOUBRAY, Amicia. et David BLACK. Carpets for the home, London, Laurence King Publishing, 1999, 224 p. ; JACOBSEN, Charles. Oriental Rugs A Complete Guide, Rutland et Tokyo, Tuttle, 1962, 479 p. ; BASHIR, Shuja. communication personnelle, s.d. ; Sources de sites web et dates de consultation variées (à être confirmées). Utilisé sous toutes réserves.